Mon cher Victor,
En ce mercredi 1er février, un vent de satisfaction souffle généreusement sur ma vie, un vent qui jusqu'ici, n'avait pas été très généreux avec moi. Mais aujourd'hui... Aujourd'hui, les petits oiseaux chantent, le soleil brille, et je ne perçois plus ni la brume de Normandie ni les -3°C du thermomètre : douce sensation procurée par la satisfaction de l'AMITIE. J'imagine bien, Victor, que tu considères, comme tout le monde, que l'amitié est normalement à portée de main, pourvu qu'on sache la saisir, et surtout, la garder. Cependant, c'est pour moi quelque chose de "presque trop beau pour être vrai". Mais enfin, que me chantes-tu là ? Du calme, du calme Victor, laisse moi t'expliquer...
Tu sais, Victor, dans la vie, ou en tous cas au XXIème siècle, il y a les gens populaires, et il y a tous les autres. Je suppose bien que ton statut d'écrivain immortel légitime ton point de vue plus que le mien, mais j'ai cependant l'avantage d'être née au siècle présent, alors que tes idées, sans vouloir te froisser, sont quelque peu... poussièreuses. Si je suis si emmerveillée d'être estimée, et d'avoir donné jour à un sentiment d'amitié chez certains, c'est parce que je fais partie de ceux qu'on ne voit pas. De la classe des transparents, fondus dans la masse, discrets, silencieux. Ceux qui prennent la parole et qu'on n'écoute pas, qu'on ne regarde pas. Et qui en gardent un goût amer, un rien humiliés. Non, Victor, je ne noircis pas le tableau. C'est la triste réalité du monde où nous vivons. Dans la lumière, les gens populaires. Parfaits. Souriants. Drôles. Que tous idolâtrent. Ces gens que j'ai longtemps considérés comme des modèles, ces gens sur qui je souhaitais me calquer, quitter à gommer ma singularité. Bêtise adolescente.
Et puis j'ai rencontré ce "jeune homme", comme tu le dis si bien. Non, s'il te plaît, ne me pose pas de questions sur lui, je t'en parlerai un autre jour. Ne serais-tu pas un peu commère, Victor ? Ce jeune homme, donc, m'a ouvert de nouveaux horizons, m'a fait découvrir d'autres caractères, d'autres personnes, comme on découvre des terres inconnues. Et je me suis prise au jeu. Avec confiance. Je me suis attachée à eux, peu à peu, sans m'en apercevoir.
Et c'est arrivé : notre séparation. Floue certes, presque indéterminée, mais annoncée à notre entourage comme irréversible : étrange tentative d'auto-persuasion, qui, il faut bien le dire, s'effiloche, sous la pression des sentiments, du manque, bel et bien là. Avec la rupture, se dit-on, ce sont toutes ces belles histoires que l'on a nouées par intermédiaire qui se dénouent. On se dit : c'est la vie, on ne les reverra pas.
Et pourtant... Pourtant, il y a peu, deux d'entre elles m'ont dit, tout simplement, qu'elles seraient là, malgré notre séparation. Là pour moi. Pas pour moi en tant que "petite amie de...", mais pour moi, Mirabelle, en tant qu'individu à part entière. Alors, tu sais, Victor, parfois je me dis...Après tout, peut être que je me suis trompée : Mirabelle n'est pas transparente, et on l'aime, elle, pour ce qu'elle est.