Mon cher Victor,
Mon retour en France se rapproche. Youpiii ! Te souviens-tu de la date exacte ? Le 16 Decembre ! Bravo ! Tu n'as pas l'air ravie de revenir ! Si, je le suis. L'idee de retrouver mon Mysterieux Inconnu, ma mere, mon pere, ma petite soeur me comble de joie. Mais... Je laisserai un peu de moi ici, en Angleterre. Et ce que tu avais laisse chez toi, en partant, tu y penses ? Je n'ai rien laisse chez moi. Tout est parti avec moi. Chez moi... Chez moi m'evoque tellement de choses.
Chez moi, il y a une petite maison. Une allee menant a la terrasse. Une boite aux lettres tout abimee, dont le volet a ete confectionne a la main et scie de travers. On la ferme avec un clou. Je l'aime bien cette boite aux lettres. C'est chez moi. De la bricole authentique. Chaleureuse et authentique. Chez moi, en traversant le jardin par la petite allee, on peut voir deux fenetres. Celle de droite est celle d'une chambre. Une chambre que je connais bien. C'est la mienne.
Chez moi, si on contourne le jardin par l'arriere, on debouche sur une petite cour. Une petit cour pleine de graviers, pas entretenue du tout avec des cabanons atroces. Mais je l'aime bien, cette petite cour. Il y aussi un noisetier, dont on ne ramasse jamais les noisettes. Et un fil, pour etendre le linge. Les pinces finissent toujours par terre et on les oublie. C'est chez moi.
Par cette petit cour, on peut acceder a la "verriere", un mot bien pretentieux pour cet amas de toles. Certaines fenetres sont cassees. On a tente de les reparer avec du scotch. Cette verriere est un veritable debarras. Un joyeux debarras. Chaussures, outils, sacs en tous genres... Toiles d'araignees, aussi. Mais je l'aime bien, cette verriere. C'est chez moi.
En montant les escaliers, on arrive dans la cuisine. Une belle cuisine. Vraiment belle. Toute neuve. Qui a attendu vingt longues annees avant d'etre refaite. Une belle cuisine avec du carrelage blanc et quelques touches d'orange, par ci par la. Une vieille radio sur le frigo. Une corbeille de fruits sur la paillasse. Dans les placards, des tasses. Ma tasse, parmi tant d'autres. Sur les murs, des broderies. Il y a toujours un peu de miettes et des couverts pas ranges. De la vaisselle s'amasse dans l'evier. Je l'aime bien, cette cuisine. C'est chez moi.
La porte de la cuisine donne sur le salon. Un grand salon. De la frisette au mur. Un canape chocolat. Un vieux tapis. Une table. Un buffet griffe, raye, use, qui a vecu et qui vit toujours. Une immense bibliotheque avec plein de livres. Un fauteuil contre la fenetre, d'ou on voit les oiseaux papillonnant dans le jardin. Juste a cote de la fenetre, qui ressemble a une baie vitree, un panier rempli de journaux. Des journaux vieux de plusieurs mois, parce qu'on prend toujours beaucoup de retard dans nos lectures. On s'assoit sur le canape avec ma soeur. Ma mere prend toujours le fauteuil pres de la fenetre. On boit notre the tranquillement, en discutant. Je l'aime bien, ce salon. C'est chez moi.
A l'etage, premiere porte en face, le bureau. Un bureau debarras, la encore. Il y a l'ordinateur et tous les documents pedagogiques de mon pere. Il corrige ses copies et prepare ses cours sur le peu de place qui lui reste, a cote de la machine. Dans ce bureau, il y a des papiers partout, des cederoms dans tous les sens et des peluches dans lesquelles on shoote parfois, quand on entre. Quand mon pere travaille et que quelqu'un veut faire de l'ordinateur, on se dispute toujours pour savoir qui aura le fauteuil en cuir tout neuf et pas le vieux tabouret dechire de partout. Chez moi, ca devient comme un jeu. J'aime bien ce bureau. C'est chez moi.
Chez moi, c'est vrai. Chez moi, c'est le bordel. Chez moi, c'est vivant.
En ecrivant cet article, en menant cette conversation (ou plutot "ce monologue", j'en conviens), tout m'apparait plus precis. Ecrire ravive la memoire. Et en ecrivant ces lignes, l'appel se fait plus pressant. En ecrivant ces lignes, je veux revenir la ou je suis nee. La ou j'appartiens. En ecrivant ces lignes, je veux rentrer la-bas. Chez moi.