Mon cher Victor,
Après notre petite conversation d'hier, j'ai réfléchi. Il me semble, en tentant d'adopter un point de vue objectif, que depuis quelques semaines déjà, j'ai perdu le ton pessimiste et désabusé qui caractérisait nos débuts. Serait-ce l'effet de ta réussite au concours ? J'imagine que ce succès y est pour beaucoup, en effet... Tu sembles le regretter ? C'est à dire qu'en balayant tous les sujets que j'ai pu échanger avec toi jusqu'ici, ceux qui demeurent les plus chers à mon coeur sont souvent les plus douloureux. Comme par exemple tous les articles que j'ai pu écrire dans la catégorie "Mirabelle et Johan, les amants terribles". Catégorie à laquelle tu as mis un terme, si mes souvenirs sont exacts. Ils sont exacts, Victor. Est-ce à dire que tu préférerais écrire des articles douloureux ? Comme tu y vas ! Non. Seulement...
Depuis quelques temps, je ne me perçois plus de la même façon en tant que blogueuse. Là encore, éclaire ma lanterne ! Le 28 Janvier 2006, c'est à dire le jour où nous nous sommes rencontrés pour la première fois, notre conversation a été engagée sur le ton de la confidence métaphysique, proche du : où suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j'erre ? En effet... N'as-tu pas perçu quelques changements sur ce plan, Victor ? Si, bien sûr. Tu sembles aborder la vie plus légèrement et par conséquent, le ton de nos conversations est plus léger, plus badin... C'est exactement là où je souhaitais en venir ! Quels sont tes articles préférés, Victor ? Humm... Question difficile... Il faudrait que je les relise tous, mais j'aime particulièrement les articles où tu te montres un peu mélancolique... Tu as dans ces moments une tournure d'esprit qui me touche tout particulièrement ! Et tu dis que nos conversations d'aujourd'hui sont plus légères ? C'est mon avis... Tu as l'air embêtée ?
Comme tu le sais, j'aime écrire. Et ? Et ma "tournure d'esprit", comme tu le dis si bien, m'amène à entretenir, en général, un goût certain pour le mélodrame, la tristesse et autres mélancolies. Et ? Et depuis quelques temps, je peine à écrire des articles intéressants, dont je sois satisfaite. Et ? Arrête avec tes "et", Victor, c'est fatiguant... Et je n'aime pas ça. Tu n'aimes pas mes "et" ou tu n'aimes pas tes articles tels que tu les écris aujourd'hui ? Je n'aime pas mes articles tels que je les écris aujourd'hui. Et à quoi est dûe cette insatisfaction ? Au fait... Accroche-toi bien, Victor, car ce que je vais dire est bougrement tordu... Au fait qu'en ce moment, il n'y a plus grand chose qui cloche dans ma petite vie. Magnifique ! Bientôt, tu vas regretter d'être heureuse ! Je ne suis pas heureuse. Cependant. Cependant ? Je ne suis pas malheureuse non plus ! Il y a une différence, c'est exact ! Et cette "différence" se ressent, à mon avis, dans mes articles, jusque dans mon style !
J'aime le malheur, Victor. Cela peut paraître curieux, mais c'est ainsi. Les plus belles chansons sont les plus désespérées. Mes romans de prédilections sont des tragédies (ahhh ! "Anna Karénine" ! Ahh ! Madame Bovary !). Les films qui me touchent le plus se terminent mal (non, ils ne se marièrent pas et n'eurent, par conséquent, pas d'enfants !). C'est ainsi. Curieux, effectivement... Et quand j'écris...
Quand j'écris, si ma "tournure d'esprit" est portée vers la tristesse, la mélancolie, il me semble que mes idées s'enchaînent, fluides, que les mots se bousculent, harmonieusement, que les phrases ont une tonalité particulière, une tonalité que je ne parviens pas à restituer en étant "sereine". Vois-tu ce que je veux dire, Victor ? Humm... En résumé, il me semble que je créé plus facilement si je suis malheureuse. C'est le cas de nombreux artistes, c'est vrai. Et c'est spécialement le cas dans l'écriture ! Le malheur inspire plus que le bonheur, pour la simple raison que le bonheur est, par définition (en supposant qu'un jour on puisse l'atteindre !), l'absence de frustration, un état de plénitude qui entraîne moins de questionnement. Ce qui explique que les plus belles oeuvres aient été écrites lorsque leurs auteurs étaient plongés dans une sorte de mal-être existentiel !
Alors, puisque tout va bien dans ma vie (ou presque : qui peut se vanter d'avoir une existence ronronnante de bien-être ?), j'ai plus de mal à écrire. C'est normal... Et j'en arrive à souhaiter, ou quasiment, de créer mon propre malheur pour écrire de manière plus satisfaisante ! Mirabelle... Oui, Victor ? Je me demande parfois si tu es saine d'esprit ! Enfin, Victor, tu sais bien que c'est une façon de parler... Je ne veux pas vraiment être malheureuse ! Je m'attends à tout, avec toi !