Mon cher Victor,
Eh oui, moi, Mirabelle , me voici vissée à mon ordinateur, les yeux plissés par la concentration, fiévreuse, fébrile, emportée par l'élan de la création.
Blogueuse... Terme bien moins poétique que celui d'écrivain, et pourtant, il s'agit bel et bien pour moi d'écrire, d'écrire vraiment. Bien sûr, mon écran d'ordinateur, mon clavier, ont remplacé ta plume, tes feuilles volantes, l'encre qu'il faut sans cesse renouveler... Mais mon envie est la même, mon ardeur est la même, et si tu me vois de là-haut, j'espère que tu ne s'offusqueras pas de telles comparaisons. Car, Victor, il me faut te dire, puisque tu as quelques siècles de retard, que je suis une blogueuse.
Blogueuse... Qu'est ce qu'un blogueur ? On a tendance à mépriser les blogueurs pour leur impudeur, leur narcissisme, leur prétention. Pourquoi la vie de Monsieur X mériterait-elle d'être racontée, plus, en tous cas, que celle de Monsieur Y ? Pourquoi s'offrir ainsi, baptiser "journal intime" ce qui constitue, en réalité, le contraire même de l'intimité ? Pourquoi encourager les gens à entretenir ce côté voyeur que nous avons tous plus ou moins ?
Ecrivain... Etre blogueur, n'est-ce pas être un peu écrivain ? Car j'écris. Un écrivain écrit. Un écrivain se raconte, directement, ou à travers ses personnages. Je m'apprête, moi aussi, à me raconter. Un écrivain, littéraire ou commercial, a toujours en tête l'image du lecteur, de son jugement, là, au fond de son crâne. J'ai, moi aussi, cette image. Un écrivain, par l'acte même d'écrire, prend de la distance, s'observe, se lit, se relit, interprète, réinterprète, s'examine. Je vais moi-même me relire, me corriger, et enfin, comme l'écrivain, m'exposer au lecteur. Ce que j'aurais écrit, alors, ne m'appartiendra plus. On interprétera mes propos. On les analysera. On me prêtera diverses attentions. Comme on le ferait pour un écrivain.
Victor, si tu me vois de là-haut, s'il te plaît, comprends les mutations de la littérature : ce ne sont plus ni tes feuilles volantes, ni ton encre, ni ta plume, ni tes ratures, mais j'écris. Alors, Victor, je t'en prie, sois tolérant avec les blogueurs...